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— sans doute en souffrant un peu ; mais était-ce trop payer de ce peu de souffrance une solide tendresse ? Annette lui eût fait du bien, elle l’eût revigoré, elle eût été le grand souffle de confiante en la vie, qui eût gonflé ses voiles, et qui l’aurait poussé où jamais il n’aborderait sans elle. Et la tendresse délicate de Julien, son respect pour la femme, sa pureté morale, même cette candide foi religieuse, qu’Annette ne partageait pas, lui eussent été sains, ils eussent mis dans sa nature passionnée un fond de sécurité, la paix du home et de l’âme dont on est sûr…

Ah ! misère des cœurs qui, par un malentendu que leur passion exagère, gâchent leur destinée, et le savent, et se le reprochent, et se le reprocheront toujours, mais ne céderont jamais sur ce qui les sépare : justement parce qu’ils s’aiment trop pour se faire une concession morale, que dédaigneusement ils consentiraient à des indifférents !…

Annette se tourmentait maintenant des inquiétudes qu’elle avait fait lever dans l’esprit de Julien. Julien avait-il raison ?… Elle n’était pas infatuée de son propre jugement. Elle cherchait à comprendre les autres façons de juger. Son caractère n’était pas tout à fait formé ; son instinct moral était fort, mais ses idées pas encore fixées ; elle s’accordait le droit de les réviser. Toute jeune, elle avait reconnu factice la morale de son entourage ; et elle n’avait trouvé rien sur quoi s’appuyer, rien que sa raison, qui l’avait souvent abusée. Elle cherchait toujours ; elle cherchait d’autres pensées, où elle pût respirer. Et quand elle rencontrait une conscience sincère, comme celle de Julien, elle la scrutait avidement : cette voix répondrait-elle à l’appel de son cœur ? Elle aspirait à croire, la révoltée ! Elle cherchait, elle cherchait sa patrie morale Qu’elle eût souhaité d’entrer dans celle de Julien, de souscrire à ses lois, même si elles la condamnaient ! Mais il ne suffit pas de