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C’est à vous d’apprécier. Je crois en votre arrêt. Je suis ce que vous déciderez.

Elle commença de raconter. Plus intimidée qu’elle ne voulait le paraître, elle avait préparé à l’avance ce qu’elle devait dire. Mais bien qu’à son jugement ce fût tout simple à dire, cela lui coûtait. Pour vaincre cette contrainte, elle sembla plus détachée d’émotion qu’elle n’était. Elle montrait même, par moments, une pointe d’ironie, qui s’adressait à elle, et qui ne répondait pas au trouble que ce récit remuait : elle s’en aidait pour se défendre… Julien ne comprit point. Il vit dans cette attitude une légèreté choquante, une inconscience.

Elle dit d’abord qu’elle n’était pas mariée. Julien en avait la crainte. Et même, pour être vrai, la muette certitude. Mais il espérait toujours qu’on lui prouverait le contraire. Et qu’Annette le lui dît, qu’il n’y eût plus de doute possible, il en fut consterné. Très catholique au fond, sous son libéralisme de surface, il n’était pas dégagé de l’idée de péché. Sur-le-champ, il pensa à sa mère : elle n’accepterait jamais ! Et il prévit les luttes. Il était très épris. Malgré le chagrin que lui faisait l’aveu d’Annette et malgré la réelle déchéance que signifiait pour lui la faiblesse passée, la « faute » de celle qu’il aimait, il l’aimait, il était prêt, pour l’avoir, à lutter contre l’opposition de sa mère. Mais il fallait qu’on l’aidât, qu’Annette le secondât. Il était faible ; pour soutenir le combat, il avait besoin de faire appel à toutes ses forces, dont la moindre n’était pas la force d’illusion. Il avait besoin d’idéaliser Annette ; et si Annette eût été habile, elle s’y fût prêtée.

Elle vit le chagrin que produisaient ses paroles. Elle s’y attendait ; elle en était attristée ; mais elle ne pouvait le lui épargner : puisqu’ils vivraient ensemble, chacun devait prendre sa part des épreuves et même des erreurs de l’autre. Mais elle ne se doutait pas du