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Les yeux d’Annette s’étaient ouvert. Il ne lui était plus permis de rester sans méfiance des autres et d’elle-même. Il ne lui était plus permis de passer en riant, comme elle faisait avant, insoucieuse des désirs qu’elle pouvait faire naître, puisqu’elle ne les cherchait pas. Dans l’actuelle société, avec les mœurs actuelles, sa situation de femme seule, jeune, et libre, non seulement l’exposait aux poursuites, mais les légitimait. Personne ne comprenait qu’elle se fût affranchie, d’audacieuse façon, pour s’enfermer après, dans un veuvage, dont la constance était sans objet. Elle-même se donnait le change avec la maternité. Et la maternité, sans doute, était une grande flamme ; mais une autre flamme brûlait toujours en elle. Elle tâchait de l’oublier, parce qu’elle en avait la crainte ; et elle s’imaginait que nul ne la voyait. Mais non ! le feu d’amour, malgré elle, se faisait jour. Et d’autres, sinon elle, risquaient d’en être victimes. L’aventure de Léopold venait de le lui montrer. Elle la trouvait hideuse. Elle en était révoltée. L’acte d’amour paraît, aux yeux sans mirage de celui qui n’aime point, une bestialité grotesque ou dégoûtante. La tentative de Léopold était l’une et l’autre aux yeux d’Annette. Mais Annette n’avait pas la conscience tranquille. Elle avait attisé ces désirs. Elle se rappelait ses coquetteries irréfléchies, ses jeux aguichants, ses ruses… Qui l’y avait poussée ? Cette force refoulée, ce feu intérieur, qu’il faut nourrir, ou étouffer. Étouffer, on ne peut pas, on ne doit pas ! C’est le soleil de la vie. Sans lui, tout est plongé dans l’ombre. Mais au moins, qu’il ne consume