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Le sot était souvent jeune ; et Annette pensait :

— Dans une douzaine d’années, Marc pourrait être ainsi.

Elle s’arrêtait indignée. Le faux Marc recevait le courroux de ses yeux qui s’adressait à l’autre ; et il n’insistait pas. Les yeux se remettaient à rire. Cette idée de voir Marc à cette place, grand garçon, beau garçon, malgré tout l’amusait. L’amour-propre maternel, quand même, y trouvait son compte. Elle en faisait la remarque et elle se tançait… Non, bien mieux ! c’était Marc qu’elle tançait.

— Polisson ! grondait-elle. En rentrant, je lui tirerai les oreilles.

(Elle les lui tirait).

Ces petites aventures l’égayaient… Oui, les premières fois. Mais quand cela se prolongeait…

— Ah ! zut ! c’est assommant ! Est-ce qu’il n’est plus permis de se promener tranquille ? Parce qu’on regarde à droite, à gauche, simplement, gentiment, parce qu’on rit en marchant, il faut qu’on vous soupçonne de penser à l’amour ! L’amour, je le connais, je l’ai assez vu ! Les sots qui croient que l’on ne peut se passer d’eux ! Ils n’imaginent pas qu’on soit heureux sans eux, heureux tout uniment, de ceci qu’il fait beau, on est jeune, on a le peu qu’il vous faut !… Qu’ils pensent ce qu’ils veulent ! Est-ce que je pense à eux ?… À eux !… Non, mais ils ne se sont donc jamais regardés ?

Elle les regardait, elle ; et comme elle était en état de grâce (c’est-à-dire de gaye liberté), elle ne les idéalisait pas. Certes ! Elle se demandait comment on peut bien s’amouracher de l’homme ! Ce n’est vraiment pas un bel animal ! Il faut avoir perdu la tête, pour le trouver séduisant… Et la fille de Rivière, qui était une bonne Française, de la forte espèce classique, lisant Rabelais et Molière, se répétait le mot de Dorine à Tartuffe. Elle se moquait de l’amour… (Ah ! comme elle se mentait ! …) Elle le provoquait, et elle le portait dans son