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ANNETTE ET SYLVIE 71

— Pardon, je ne le ferai plus.

Et, la joue appuyée sur le bras de sa sœur, elle resta sagement sans parler, écoutant, regardant sur l’obscure transparence d’un pan de ciel échancré par les branches de l’arbre, dans les demi-ténèbres, le visage d’Annette qui s’inclinait vers elle et tout bas lui parlait.

Annette ouvrait son cœur. Elle disait, à son tour, la plénitude heureuse de sa jeunesse solitaire, cette aube de petite Diane, passionnée, mais sans troubles, qui jouit de ce qu’elle désire, non moins que de ce qu’elle possède, car entre l’un et l’autre, il n’y a pour elle d’autre distance que d’aujourd’hui à demain. Et elle est si sûre de demain qu’elle en goûte par avance à la treille le parfum de jasmin, sans se presser de le cueillir.

Elle conta le tranquille égoïsme de ces années, vides d’événements, gonflées du suc des rêves. Elle dit l’intimité, la tendresse absorbante qui la liait à son père. Et, en se racontant, il lui arrivait ceci de singulier qu’elle se découvrait : car, jusqu’à cette heure, elle n’avait pas eu l’occasion d’analyser son passé. Elle en était, par instants, effarée. Elle s’arrêtait dans son récit ; tantôt elle avait de la peine à s’exprimer, tantôt elle s’exprimait avec une ardeur trouble et imagée. Sylvie ne comprenait pas toujours, s’amusait, écoutait moins