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qui voulait parler ; et elle avait envie de lui dire :

— Vas-y donc !

Enfin, Annette prit son élan et, avec une brusquerie qui venait de sa tendresse contrainte, elle proposa à Sylvie d’habiter avec elle. Sylvie sourit, se tut, avala sa bouchée, trempa dans son malaga ses miettes et ses doigts, sourit de nouveau, gentiment, remerciant des yeux et de la bouche pleine, en secouant la tête, comme on fait quand on parle à un enfant ; puis elle dit :

— Chérie…

Et elle refusa.

Annette insista, pressante ; elle mettait à forcer le consentement une violence impérieuse. Au tour de Sylvie, maintenant, de ne plus vouloir parler ! Elle s’excusait, à mi-mots, d’une voix caressante, avec un peu de gêne, aussi avec malice… (Elle l’aimait bien, la brusque et tendre, la candide grande sœur !)… Elle disait :

— Je ne peux pas.

Et Annette demandait :

— Mais, pourquoi ?

Et Sylvie :

— J’ai un ami.

Annette ne comprit pas, l’espace d’une seconde. Puis, elle comprit trop, et elle fut atterrée, La lorgnant du coin de l’œil, Sylvie, toujours riante, se leva, et partit, dans un gazouillis de petits mots et de baisers.