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Sylvie occupait surtout son attention jalouse. L’autre avait disparu ; et la fierté d’Annette affectait de dédaigner le genre d’intimité que Delphine avait eue avec son père ; elle oubliait déjà que, les jours précédents, la découverte d’attachements du même ordre lui avait été une sensible offense. Maintenant qu’entrait en lice une intimité beaucoup plus profonde, toute autre rivalité lui semblait négligeable. L’esprit tendu, elle tâchait de se représenter l’image de cette étrangère qui, malgré son dépit, ne l’était qu’à demi. Le sans-gène riant, le tranquille tutoiement de ces lettres où Sylvie disposait de son père, comme s’il eût été sa propriété entière, l’indignaient ; elle cherchait à fixer l’insolente inconnue, afin de la confondre. Mais la petite intruse défiait son regard. Elle avait l’air de dire :

— C’est mon bien, j’ai son sang.

Et plus Annette s’irritait, plus cette affirmation faisait son chemin en elle. Elle la combattait trop pour ne pas s’habituer peu à peu au combat, et même à l’adversaire. Elle finit par ne plus pouvoir s’en passer. Le matin, la première pensée qui l’accueillait, au réveil, était celle de Sylvie ; et la voix narquoise de la rivale lui disait maintenant :

— J’ai ton sang.

Si nette elle l’entendit, si vive fut, une nuit,