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Elle n’était pas encore au bout de ses découvertes. Dans un autre tiroir, soigneusement mise à part, — (plus soigneusement, elle dut le remarquer, que les lettres de sa mère), — une liasse nouvelle lui révéla une liaison plus durable. Bien que les dates fussent négligemment marquées, il était facile de voir que cette correspondance embrassait une longue suite d’années. Elle était de deux mains, — l’une, dont l’écriture incorrecte et lâchée, qui courait de travers, s’arrêtait à moitié du paquet, — l’autre qui, d’abord, enfantine, appuyée, s’affirmait peu à peu, et continuait jusqu’aux dernières années, — bien plus, (et cette constatation fut particulièrement pénible à Annette), jusqu’aux derniers mois de la vie de son père. Et cette correspondante, qui lui dérobait une part de cette période sacrée, dont elle pensait avoir eu le privilège unique, cette intruse, doublement, écrivait à son père : « Mon père » !… Elle eut la sensation d’une intolérable blessure. D’un geste de colère, elle rejeta de ses épaules la houppelande du père. Les lettres tombées de ses mains, repliée sur sa chaise, elle avait les yeux secs, et ses joues la brûlaient. Elle ne s’analysait pas. Elle était trop passionnée pour savoir ce qu’elle pensait. Mais, de toute sa passion, elle pensait : « Il m’a trompée !… »