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renoncer ! Reconnaître que l’on s’était trompée ! Se dire qu’on n’était pas faite pour le bonheur !…

Car elle se le disait, dans son découragement. Une autre, à sa place, ne l’eût pas rejeté. Pourquoi n’était-elle pas capable de l’accepter ? Pourquoi ne pouvait-elle sacrifier une partie de sa nature ?… Mais non, elle ne le pouvait pas ! Comme la vie est mal faite ! On ne peut pas se passer d’affection mutuelle, et on ne peut pas se passer non plus d’indépendance. L’une est aussi sacrée que l’autre. L’une est autant que l’autre nécessaire au souffle de nos poumons. Comment les concilier ? On vous dit : « Sacrifiez ! Si vous ne vous sacrifiez pas, vous n’aimez pas assez… » Mais ce sont, presque toujours, les plus capables d’un grand amour qui sont aussi les plus passionnés d’indépendance — Car tout est fort en eux. Et s’ils sacrifient à leur amour le principe de leur fierté, ils se sentent dégradés jusque dans leur amour, ils déshonorent l’amour… — Non, ce n’est pas aussi simple que voudraient nous le faire croire la morale de l’humilité, — ou celle de l’orgueil, — chrétiens ou nietzschéens. Une force ne s’oppose pas en nous à une faiblesse, une vertu à un vice, ce sont deux forces qui s’affrontent, deux vertus, deux devoirs… La seule vraie morale, selon la vie