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ANNETTE ET SYLVIE 259

pas entendu, aurait pu le lui répéter, dix jours, dix ans après. Elle en gardait le souvenir frais et la blessure ouverte. C’était bien malgré elle : car elle était généreuse, et elle se reprochait de ne pas savoir oublier. Mais la meilleure des femmes peut pardonner les offenses intimes ; elle ne les oublie jamais.

Jour après jour, des déchirures se firent dans la fine toile tissée par l’amour. On ne le remarquait point. La toile restait tendue, mais le moindre souffle y faisait passer d’inquiétants frissons. — Annette, observant Roger dans le cercle de famille, et ses traits de famille, la dureté, la sécheresse de certains de ses propos, son mépris des petites gens, se disait :

— Il déteint. De ce que j’ai aimé en lui, au bout de quelques années, il ne restera rien.

Et puisqu’elle l’aimait encore, elle voulut éviter l’amère désillusion, les conflits dégradants qu’elle prévoyait entre eux, s’ils se liaient.


L’avant-veille de Pâques, sa décision fut prise. — Dure nuit. Il fallut vaincre bien des désirs, fouler aux pieds l’espérance obstinée, qui ne voulait pas mourir. Elle avait, en pensée, bâti son nid avec Roger. Tant de rêves de bonheur, que l’on se chuchote tout bas ! Y