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258 L'AME ENCHANTEE

Le fond de son trouble, c’est que de son amour, elle n’était plus sûre. Elle ne savait plus… Elle n’aimait plus ; et elle aimait toujours. Son esprit et son cœur — son esprit et ses sens — bataillaient. L’esprit Voyait trop clair : il était désabusé. Mais le cœur ne l’était point ; et le corps s’irritait, en voyant qu’il allait perdre l’être qu’il convoitait ; la passion grondait :

— Je ne veux pas renoncer !…

Annette sentait cette révolte, et elle en était humiliée ; sa violence naturelle réagissait durement, faisait appel à sa fierté blessée. Elle disait :

— Je ne l’aime plus !…

Et son regard hostile maintenant épiait en Roger les raisons de ne plus l’aimer. Roger ne voyait rien. Il entourait Annette de prévenances, de fleurs, d’attentions galantes. Mais il croyait la partie gagnée. Pas un instant, il ne songeait à l’âme fière, sauvage, qui, voilée, l’observait, brûlante de se donner, mais à qui lui dirait le mot de passe mystérieux qui montre qu’on s’est reconnus. Il ne le disait pas ; et pour cause. Il disait, au contraire, des mots irréfléchis qui, sans qu’elle le montrât, blessaient Annette au cœur. L’instant d’après, il ne se souvenait plus de ce qu’il avait dit. Mais Annette, qui semblait n’avoir