Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 1.djvu/259

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ANNETTE ET SYLVIE 253

toute sa vie, et qu’elle ne reçût qu’une part de la sienne. Tout au fond de lui-même, il y avait cette vieille croyance de l’homme en sa supériorité, qui fait que ce qu’il donne lui paraît d’une essence plus haute. Mais il n’en eût pas convenu : car il était bon garçon et galant Français. S’il arrivait qu’Annette prétendît appuyer certains droits de la femme sur l’exemple du mari…

— Ce n’est pas la même chose, disait, en souriant, Roger.

— Pourquoi ? demandait Annette.

Roger esquivait la réponse. Une conviction qu’on ne discute pas risque moins d’être ébranlée. Celle de Roger était enracinée. Et Annette prenait le mauvais chemin pour le faire douter de soi. Ses avances, ses efforts pour trouver entre eux un terrain d’entente, après son inutile essai pour lui imposer ses idées, étaient interprétés par Roger comme une preuve nouvelle du pouvoir qu’il exerçait sur elle. Il n’en était que plus sûr de lui. Et même, il devenait fat. — Soudain, Annette s’irritait, et sa parole avait un accent frémissant… Aussitôt, Roger tournait court, et il revenait au système qui lui avait, pensait-il, si bien réussi : il promettait, en riant, tout ce qu’on voulait. Le ton fait, dit-on, passer la chanson. C’en était une pour Roger. Annette ressentait l’offense.