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252 L’AME ENCHANTEE

tenait, pour l’instant, beaucoup plus. À cette préférence le corps avait plus de part que l’esprit ; mais l’esprit y avait aussi sa part : Roger en goûtait fort, chez Annette, la fougue primesautière, quand elle ne s’exerçait pas sur des sujets embarrassants pour lui. — Il n’était pas inquiet. Annette, avec sa droiture, lui avait montré qu’elle l’aimait. Il était convaincu qu’elle ne pourrait se détacher de lui.

Il ne se doutait guère du drame de conscience qui se jouait auprès de lui. — En vérité, Annette l’aimait tant qu’elle ne pouvait se résigner à le juger si piètre. Elle voulait croire qu’elle s’était trompée. Elle fit d’autres tentatives, elle tâcha d’y mettre du sien. Si Roger ne lui reconnaissait pas une vie indépendante, quelle part lui faisait-il du moins dans la sienne ?… Mais les constatations nouvelles où elle dut arriver furent décourageantes. Le naïf égoïsme de Roger la reléguait, en somme, à la table, au salon, et au lit. Il voulait bien, gentiment, lui conter ses affaires ; mais elle n’avait plus, ensuite, qu’à les prouver. Il n’était pas plus disposé à reconnaître à sa femme les droits d’un collaborateur qui discutât son action politique et pût la modifier, qu’à lui permettre une activité sociale différente de la sienne. Il lui semblait tout naturel — (cela s’était toujours fait) — que la femme qui l’aimait lui donnât