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ANNETTE ET SYLVIE 245

eu de bien grandes exigences. Que peut-elle réclamer ? Est-ce de votre travail que vous voulez parler ? Souhaitez-vous de le continuer ? Ce genre d’activité me semble, je l’avoue, décevant pour une femme. À moins d’une vocation. C’est gênant, en ménage… Mais je ne crois pourtant pas que vous soyez affligée de ce présent du ciel. Vous êtes trop humaine et bien équilibrée.

— Non, il ne s’agit pas d’une vocation spéciale. Ce serait simple, alors : il faudrait la suivre… La demande, l’exigence (comme vous dites) de ma vie est moins facile à formuler : car elle est moins précise et beaucoup plus vaste. Il s’agit du droit qui s’impose pour toute âme vivante : le droit à changer.

Roger se récria :

— Changer ! Changer d’amour ?

— Même en restant toujours, comme je le veux, fidèle à un seul amour, l’âme a droit à changer… Oui, je sais bien, Roger, « changer », ce mot vous effraie… Moi-même, il m’inquiète… Quand l’heure qui passe est belle, je voudrais n’en plus bouger… On soupire de ne pas se fixer pour toujours !… Mais pourtant, on ne le doit pas, Roger ; et d’abord, on ne le peut pas. On ne reste pas sur place. On vit, on va, on est poussé, il faut, il faut avancer ! Ce n’est point faire tort à l’amour. On l’emporte