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cinq dernières années, Annette avait vécu dans l’enveloppement moral de son aimable père, qui la chérissait et, sans penser à mal, lui prodiguait les séductions qui lui étaient naturelles. Il en fut d’autant plus dépensier avec elle qu’il en trouvait moins l’emploi au dehors ; car, depuis deux ans, il était retenu davantage au foyer par les annonces de la maladie qui devait l’emporter.

Rien n’avait donc troublé la chaude intimité qui mariait le père et la fille, et remplissait le cœur, mal éveillé, d’Annette. Elle avait de vingt-trois à vingt-quatre ans ; mais son cœur paraissait plus jeune que son âge ; il n’était pas pressé. Peut-être, comme tous ceux qui ont devant soi un long avenir, et parce qu’elle sentait battre en elle une vie profonde, elle la laissait s’amasser, sans hâte d’en faire le compte.

Elle tenait à la fois des deux parents : du père, pour le dessin des traits et le sourire charmant qui, chez lui, promettait beaucoup plus qu’il ne pensait, et chez elle, restée pure, beaucoup plus qu’elle ne voulait ; — de la mère, pour la tranquillité apparente, la mesure des manières, et pour le sérieux moral, malgré l’esprit très libre. Doublement attirante, par la séduction de l’un et la réserve de l’autre. On ne pouvait deviner ce qui dominait en elle des