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ANNETTE ET SYLVIE 243

habitudes d’esprit, dont il m’est difficile maintenant de me passer. Je me rends compte que je suis un peu différente de la plupart des jeunes filles de ma classe. Et pourtant, je crois que ce que je sens, elles le sentent aussi ; j’ose seulement le dire, et j’en ai une conscience plus claire. — Vous me demandez d’unir ma vie à la vôtre. C’est mon souhait. C’est, pour chacune de nous, le vœu le plus profond, de trouver le cher compagnon. Et il me semble que vous pourriez l’être, Roger… si… si vous vouliez…

— Si je voulais ! dit-il, la bonne plaisanterie ! Je ne fais que le vouloir !…

— Si vous vouliez vraiment être mon compagnon. Ce n’est pas une plaisanterie. Réfléchissez !… Unir nos vies, cela ne signifie pas supprimer l’une ou l’autre… Qu’est-ce que vous m’offrez ?… Vous ne vous en apercevez pas, parce que depuis longtemps le monde est habitué à ces inégalités. Mais elles me sont neuves… Vous ne venez pas à moi, seulement avec votre affection. Vous venez avec les vôtres, vos amis, vos clients et votre parenté, avec votre route tracée, votre carrière fixée, votre parti et ses dogmes, votre famille et ses traditions, — tout un monde qui est à vous, tout un monde qui est vous. Et moi, qui ai un monde aussi, qui suis aussi un monde, — vous me