Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 1.djvu/225

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ANNETTE ET SYLVIE 219

exigence, le besoin de changer et celui de rester immuable, ces deux instincts passionnés de toute forte vie. Mais tour à tour se révoltait celui des deux qui se croyait le plus menacé.

Marcel, connaissant bien la fille fière et butée, s’inclina poliment. Annette, qui se jugeait aussi exactement qu’il la jugeait, un peu honteuse, dit :

— Enfin, je ne voudrais pas…

Et, cette concession faite à l’esprit de vérité, elle continua, plus ferme, se sentant maintenant sur un terrain dont elle était sûre :

— Mais je voudrais qu’en échange du don mutuel de sa fidèle tendresse, chacun gardât le droit de vivre selon son âme, de marcher dans sa voie, de chercher sa vérité, de s’assurer, s’il le faut, son champ d’activité propre, d’accomplir en un mot la loi propre de sa vie spirituelle, et de ne pas la sacrifier à la loi d’un autre, même de l’être le plus cher : car nul être n’a le droit d’immoler à soi l’âme d’un autre, ni la sienne à un autre. C’est un crime.

— C’est très beau, chère amie, dit Marcel ; mais moi, vous savez, l’âme, ça sort de ma compétence. Peut-être que ça rentre mieux dans celle de Roger. Mais j’ai peur qu’en ce cas, il ne l’entende pas de la même façon. Je ne vois pas bien les Brissot concevant, dans leur cercle de famille, la possibilité d’une autre