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ANNETTE ET SYLVIE 217

et de plaisirs. La vie est une vigne qu’on exploite en commun : ensemble, on la cultive et l’on fait les vendanges. Mais on n’est pas forcés de boire son vin, tous deux, toujours en tête à tête. Une mutuelle complaisance qui demande et donne à l’autre la grappe de plaisir, dont on dispose, chacun, et qui le laisse discrètement achever sa cueillette ailleurs.

— Vous voulez parler, dit Annette, de la liberté de l’adultère ?

— Le vieux mot périmé ! Je veux parler, dit Marcel, de la liberté amoureuse, la plus essentielle de toutes.

— C’est celle qui m’importe le moins, dit Annette. Le mariage n’est pas pour moi un carrefour, où l’on se donne à tous les passants. Je me donne à un seul. Le jour où je cesserais de l’aimer et où j’aimerais un autre, je me séparerais du premier ; je ne me partagerais pas entre eux, et je ne supporterais pas le partage. Marcel fit un geste ironique, qui semblait dire :

— Quelle importance ?…

— Voyez-vous, mon ami, dit Annette, au bout du compte, je suis plus loin de vous encore que de Roger.

— Vous êtes donc aussi, demanda Marcel, de la bonne vieille école : « Gênons-nous les uns les autres » ?