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Annette fut invitée chez les Brissot, à des soirées intimes, dans leur appartement de la rue de Provence. Elle fit la connaissance de Brissot père, grand et gros, l’œil malin sous une broussaille de sourcils, rubicond, une courte barbe grise, l’air d’un avoué retors et paterne, qui l’accabla de galanteries et de plaisanteries vieillies. Il essaya de jouer aussi au jeu de société ; mais ses circonlocutions mettaient les pieds dans le plat. Annette s’effaroucha ; et Madame Brissot fit signe à son mari de ne plus s’en mêler. Il se tint donc en dehors de la partie, la suivant du coin de l’œil, goguenard, convenant que ce n’était pas son affaire et que les femmes s’en acquittaient mieux que lui.

Adroitement, Madame Brissot n’invita d’abord avec Annette que trois ou quatre amis intimes, — puis deux, — puis un, — puis rien. Et Annette se trouva seule, avec les quatre Brissot. « En famille », disait Madame Brissot, d’un ton plein de promesses onctueusement maternelles. Annette sentait le piège ; mais elle ne se dérobait pas. Elle avait trop de plaisir à être avec Roger. Par tendresse pour lui, elle était indulgente pour les siens ; elle se fermait les yeux sur ce qui, dans ce milieu, l’agaçait sourdement. La finesse d’instinct féminine en avertissait Mesdames Brissot : si fort que fût