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192 L’AME ENCHANTÉE

Roger l’envahissait. Elle était submergée. Il lui accordait à peine le temps de respirer. Sa nature expansive, débordante, avait besoin de tout dire, de tout confier : l’avenir, le présent, le passé. Et il y en avait long ! Roger tenait de la place ! Mais il voulait aussi tout savoir, tout avoir. Il entrait, de vive force, dans les secrets d’Annette. Annette avait beaucoup à faire de défendre ses dernières retraites. Un peu scandalisée, heureuse et amusée, elle avait des velléités de se cabrer contre cette invasion ; mais l’envahisseur était si adorable !… Elle se laissait faire, voluptueusement ; elle avait, en se livrant à ce viol de pensée, — ( « Et cognovit eam… » Il ne la connaissait guère !…) — de secrets mouvements de révolte et de plaisir…

Ce n’était pas trop prudent, de tout livrer de soi. Certaines confidences des heures d’abandon risquent d’être employées plus tard, comme armes, par le confident. Mais c’était bien le dernier des soucis d’Annette et de Roger. À cette heure de l’amour, rien de l’aimé ne pouvait déplaire, rien ne pouvait étonner. Tout ce que confiait l’aimé, loin de surprendre l’amant, semblait répondre à ses vœux inexprimés. Roger ne surveillait pas plus — surveillait moins encore — les aveux indiscrets, que l’oreille indulgente d’Annette enregistrait pourtant, à son insu, très fidèlement.