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164 L’AME ENCHANTÉE

peut plus vivre sans compagnon. Et la femme, moins que l’homme : car en elle, ce n’est pas seulement l’amante, c’est la mère que l’amour éveille. Elle ne s’en rend pas compte : les deux aspirations se fondent en un même sentiment. Annette, sans fixer encore sur aucun ses pensées, avait le cœur gonflé du besoin de se donner à un être, et plus fort et plus faible, qui la prît dans ses bras et qui bût à son sein. À cette idée, elle défaillait de tendresse ; elle eût voulu que tout le sang de son corps se convertît en lait, afin de le donner… Bois !… bien-aimé !…

Tout donner !… Mais non ! Elle ne pouvait tout donner. Ce ne lui était pas permis… Donner tout !… Oui, son lait, son sang, son corps, et son amour… Mais tout ? toute son âme ? toute sa volonté ? et pour la vie entière ?… Non, cela, elle le savait, elle ne le ferait jamais. Quand elle l’eût voulu, elle ne l’aurait pas pu. On ne peut pas donner ce qui n’est pas à nous, — mon âme libre. Mon âme libre ne m’appartient pas. C’est moi qui appartiens à mon âme libre. Je ne puis en disposer… Sauver sa liberté est beaucoup plus qu’un droit, c’est un devoir religieux…

Il y avait dans ces pensées d’Annette un peu de la raideur morale qu’elle tenait de sa mère. Mais chez elle, tout prenait un caractère pas-