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156 L’AME ENCHANTÉE

de ces arrêts de conscience, comme l’automne dernier, çà et là, en Bourgogne, de ces vides où l’on sombre… Des vides ? Non, ils n’étaient pas vides ; mais que se passait-il au fond ?… Ces étranges phénomènes, inaperçus, inexistants peut-être avant les dix derniers mois, et qui s’étaient déclenchés surtout depuis la crise passionnelle de l’été, devenaient plus fréquents. Annette avait le sentiment vague que ces gouffres de conscience s’ouvraient aussi la nuit, parfois, pendant qu’elle dormait… de lourds sommeils d’hypnose… Lorsqu’elle en ressortait, elle revenait de très loin ; il n’en restait pas un souvenir ; et pourtant, on avait la hantise qu’il s’y était passé des choses graves, des mondes, de l’innommable, de l’au-delà de ce qui est permis et tolérable à la raison, bestial et surhumain, comme chez les monstres grecs ou les gargouilles des cathédrales. Une glaise informe, et qui collait aux doigts. On se sentait lié vivant à cet inconnu des songes. Pesait une tristesse, une honte, la lourdeur chaude d’une complicité, qu’on ne pouvait définir. La chair en restait imprégnée d’une odeur fade qui traînait pendant des jours. C’était comme un secret qu’on portait, au milieu des images fugaces de la journée, caché derrière la porte close du front lisse, sans pensées, les yeux indifférents, qui regardent