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autres qu’on n’avouait pas : plaisir de plaire, forces obscures d’attraction (de répulsion aussi) qui s’éveillent en nous, qui s’éveillent autour, relations magnétiques qui, sous des mots trompeurs, s’instituent entre les esprits et les corps, sourds instincts de possession qui, par moments, affleurent à la surface égale et monotone des pensées de salons, s’effacent invisibles, mais frémissent au fond…

Le monde et le travail n’occupaient encore que la moindre partie de ses jours. Jamais la vie d’Annette n’était aussi peuplée que lorsqu’elle était seule. Dans les longues soirées et les heures de la nuit, où le sommeil rejette l’âme dans la veille, avec ses pensées hallucinées, comme le flot qui se retire laisse sur le rivage les myriades d’organismes arrachés aux abîmes nocturnes de l’océan, — Annette contemplait le flux et le reflux de sa mer intérieure, et la plage ensemencée. C’était le grand équinoxe du printemps.

Une partie de ces forces qui remuaient en elle ne lui étaient pas neuves ; mais en même temps que leur énergie était décuplée, le regard de l’esprit en prenait conscience avec une netteté exaltée. Leurs rythmes contradictoires mettaient au cœur une ivresse, un vertige… Impossible de saisir l’ordre caché dans cette mêlée. Le choc violent de la passion sexuelle,