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nalité qu’on porte depuis plus d’un demi-siècle. Le divin bienfait de l’art est de nous en délivrer, en nous donnant d’autres âmes à boire, d’autres existences à revêtir — (nos amis de l’Inde diraient : « d’autres de nos existences » : car tout est en chacun…)

Quand j’ai donc adopté Jean-Christophe, ou Colas, ou Annette Rivière, je ne suis plus que le secrétaire de leurs pensées. Je les écoute, je les vois agir, et je vois par leurs yeux. À mesure qu’ils apprennent de leur cœur et des hommes, j’apprends avec eux ; quand ils se trompent, je trébuche ; quand il se reprennent, je me relève, et nous nous remettons en route. Je ne dis pas que cette route est la meilleure. Mais cette route est la nôtre. Que Christophe, Colas et Annette, aient ou n’aient pas raison, Christophe, Colas et Annette, sont. La vie n’est pas une des moindres raisons.

Ne cherchez point ici de thèse ou de théorie. Voyez-y seulement l’histoire intérieure d’une vie sincère, longue, fertile en joies et en douleurs, non exempte de contradictions, abondante en erreurs, et toujours s’efforçant d’atteindre, à défaut de l’inaccessible Vérité, l’harmonie de l’esprit, qui est notre suprême vérité.

R. R. .....

Août 1922.