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ANNETTE ET SYLVIE 137

si elle l’injuriait, elle se mettait à marmonner une kyrielle de petits mots fous, de sons inarticulés, généralement en i, des « kikikiki » de pinson qui frétillait de plaisir. Et puis, elle reprenait subito un air grave, elle avait l’air de dire : « Qui ? Moi ? Je n’ai rien fait… » — Ou bien, mordillant son fil, elle chantonnait, de son filet de voix de tête, nasillant, quelque romance bien bête, où il étaitquestion de fleurs, « d’oiseaux jaseurs », ou une grivoiserie dont, malicieusement, l’air d’un enfant bien sage, elle détachait une grosse polissonnerie. Annette sursautait, mi-riante, mi-fâchée :

— Veux-tu, veux-tu bien te taire !

Elles étaient soulagées. L’air était détendu. Peu importent les mots ! Les voix, comme les mains, rétablissent le contact. On se rejoint. Où était-on ?… Gare au silence ! Savons-nous où il peut, en une seconde d’oubli, l’emporter, m’emportera tire-d’aile ? Parle-moi ! Je te parle. Je te tiens. Tiens-moi bien !…

Elles se tenaient. Elles étaient bien décidées, quoi qu’il arrive, à ne plus se lâcher. Quoi qu’il pût arriver, cela ne touchait en rien à ce fait essentiel : « Je suis moi. Tu es toi. Nous échangeons. Tope là ! On ne s’en dédira plus. » Il y avait un don mutuel, un tacite contrat, une sorte de mariage d’âme, d’autant plus efficace que nulle contrainte extérieure, — ni engagement