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120 AME ENCHANTÉE

farouche d’un torrent. Sa plainte se mêlait à la plainte de la femme blessée. Elles semblaient l’éternel lamento de la terre…

Aussi longtemps qu’elle cria, elle ne pensa point. Le corps, secoué de sanglots convulsifs, se déchargeait du mal, dont le fardeau, depuis des jours, l’écrasait. L’esprit se taisait. — Puis, le corps, épuisé, s’arrêta de gémir. La douleur de l’esprit revint à la surface. Et Annette reprit conscience de son abandon. Elle était seule et trahie. Le cercle de ses pensées ne s’étendait pas plus loin. Elle n’avait pas la force de rassembler leur troupeau dispersé. Elle n’avait pas la force même de se relever. Elle s’abandonnait à la terre, étendue… Ah ! si la terre avait voulu la prendre !… Le grondement du torrent parlait, pensait pour elle.

Il baignait sa blessure. Au bout d’un temps, (qui fut, sans doute, long), de souffrance prostrée, Annette lentement souleva son corps meurtri. La contusion du front lui causait des douleurs assez vives ; ce mal, en l’occupant, soulagea sa pensée. Elle trempa dans le ruisseau ses mains éraflées ; elle les mit sur son front blessé, qui brûlait. Et ainsi, elle resta assise, appuyant ses tempes et ses yeux dans ses paumes mouillées, sentant la pénétrer cette pureté glacée. Et voici qu’elle devenait lointaine à sa douleur… Elle la regardait gémir,