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ANNTTE ET SYLVIE 115

il daignait leur jeter le mouchoir à toutes deux. Sylvie, prestement, le ramassait ; elle ne faisait point de façons ; elle se réservait, plus tard, de faire danser Tullio, à sa manière. Elle ne se fût guère troublée de voir ce Don Juan grappiller quelques baisers à la treille d’Annette. Et si cela ne lui eût pas plu, elle ne se croyait pas forcée de le montrer. On peut dissimuler… Annette en était incapable. Elle n’admettait pas le partage ; et elle laissait trop bien voir la répulsion que lui inspirait le jeu équivoque de Tullio.

Tullio commença à se refroidir pour elle. Ce sérieux passionné le gênait, « l’embêtait » : (il croyait, avec beaucoup d’étrangers ce mot très parisien). Un peu de sérieux est bon en amour. Mais pas trop n’en faut : ce serait une corvée, et non plus un plaisir. Il se représentait la passion comme une primadonna qui après avoir proféré sa grande cavatine, revient les bras tendus, pour saluer le public. Mais la passion d’Annette ne semblait pas savoir que le public existât. Elle ne jouait que pour elle. Elle jouait mal….

Elle était trop vraie, trop vraiment passionnée pour songer à s’apprêter, à corriger les traces de ses peines, de ses tourments, et ces imperfections journalières, qu’une femme plus attentive efface ou atténue, chaque jour plus d’une