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114 L’AME ENCHANTEE

de sa sœur ; et elle tremblait encore de haine et d’horreur…


Elle haïssait… Qui donc ?… Et qui donc aimait-elle ? Elle jugeait Tullio, elle ne l’estimait pas, elle le redoutait, elle n’avait aucune, aucune confiance en lui. Et cependant, pour cet homme qu’elle ne connaissait pas quinze jours avant, qui ne lui était rien, elle était prête à haïr celle qui était sa sœur, celle qu’elle avait aimée le mieux, celle qu’elle aimait encore… (Non !… Si !… qu’elle aimait toujours…) Elle eût sacrifié à cet homme, sur-le-champ, tout le reste de sa vie… Mais comment…, mais comment cela était-il possible !…

Elle était épouvantée ; mais elle ne pouvait que constater la toute puissance de la folie. À de certaines minutes, un éclair de bon sens, un sursaut d’ironie, le retour d’une vague de son ancienne tendresse pour Sylvie, lui soulevaient la tête au-dessus du courant. Mais il suffisait d’un regard de jalousie, de la vue de Tullio chuchotant avec Sylvie, pour qu’elle replongeât…

Il était évident qu’elle perdait du terrain. C’était justement pour cela que sa passion s’enrageait. Elle était maladroite. Annette ne savait pas cacher sa dignité blessée. Tullio eût consenti, bon prince, à ne pas choisir entre elles ;