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LA FIN DU VOYAGE

lui avait proposé de faire parler d’elle par ses amis du Grand Journal. Mais quoiqu’elle fût bien aise qu’on la louât, elle l’avait prié de ne faire aucune démarche pour cela. Elle ne voulait pas lutter, se donner de peine, exciter de jalousies ; elle voulait rester en paix. On ne parlait pas d’elle : tant mieux ! Elle était sans envie, et la première à s’extasier sur la technique des autres virtuoses. Ni ambition, ni désirs. Elle était bien trop paresseuse d’esprit ! Quand elle n’était pas occupée d’un objet immédiat et précis, elle ne faisait rien, rien ; elle ne rêvait même pas ; même la nuit, dans son lit : elle dormait, ou ne pensait à rien. Elle n’avait pas cette hantise maladive du mariage, qui empoisonne la vie des filles qui tremblent de coiffer Sainte-Catherine. Quand on lui demandait si elle n’aimerait pas à avoir un bon mari :

— Tiens donc ! disait-elle, pourquoi pas cinquante mille livres de rente ? Il faut prendre ce qu’on a. Si on vous l’offre, tant mieux ! Sinon, on s’en passera. Ce n’est pas une raison parce qu’on n’a pas de gâteau, pour ne pas trouver bon le bon pain. Surtout quand on en a mangé longtemps qui était dur !

— Et encore, disait la mère, il y a bien des gens qui n’en mangent pas tous les jours !