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LES AMIES

nouveau-né qui sort à la lumière. La richesse tranche le lien qui unit l’homme à la terre, et qui relie entre eux tous les fils de la terre. Et alors, comment voudrais-tu être encore un artiste ? L’artiste est la voix de la terre. Un riche ne peut pas être un grand artiste. Il lui faudrait, pour l’être, mille fois plus de génie, dans des conditions aussi disgraciées du sort. Même s’il y parvient, c’est toujours un fruit de serre. Le grand Goethe a beau faire : son âme a des membres atrophiés, il lui manque des organes essentiels, que la richesse a tués. Toi qui n’as pas la sève d’un Goethe, tu serais dévoré par la richesse, surtout par la femme riche, que Goethe a du moins évitée. L’homme seul peut encore réagir contre le fléau. Il a en lui une telle brutalité native, un tel humus amassé d’instincts âpres et salutaires qui l’attachent à la terre, que seul, il a encore des chances de se sauver. Mais la femme est livrée au poison, et elle le communique aux autres. Elle se plaît à la puanteur parfumée de la richesse, elle ne peut plus s’en passer. Une femme qui reste saine de cœur, au milieu de la fortune, est un prodige, autant qu’un millionnaire qui a du génie… Et puis, je n’aime pas les monstres. Qui a plus que sa part pour vivre est un monstre, — un