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LA FIN DU VOYAGE

tinct de petite fille très propre : il suffisait d’une scène ou d’un mot un peu crus pour la dégoûter ; tout de suite, elle laissait le livre, et passait au milieu des compagnies infâmes, comme une chatte effarouchée parmi les flaques d’eau sale, — sans une éclaboussure.

En général, les romans ne l’attiraient pas : ils étaient trop précis et trop secs. Mais ce qui lui faisait battre le cœur d’émoi et d’espérance d’y trouver l’énigme expliquée, c’étaient les livres des poètes, — ceux qui parlaient d’amour, bien entendu. Ils se rapprochaient un peu de sa mentalité de petite fille. Ils ne voyaient pas les choses, ils les imaginaient, à travers le prisme du désir ou du regret ; ils avaient l’air de regarder, comme elle, par les fentes du vieux mur. Mais ils savaient bien plus de choses, ils savaient toutes les choses qu’il s’agissait de savoir, et ils les enveloppaient de mots très doux et mystérieux, qu’il fallait démailloter avec d’infinies précautions, pour trouver… pour trouver… Ah ! l’on ne trouvait rien, mais l’on était toujours sur le point de trouver…

Les deux curieuses ne se lassaient point. Elles se répétaient, à mi-voix, avec un petit frisson, des vers d’Alfred de Musset ou de Sully-Prudhomme, où elles imaginaient des