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LES AMIES

fallait aller, aller le plus vite possible : là était le bonheur. Ah ! Pourvu qu’on arrivât !…

En attendant qu’on y fût parvenu, on se faisait d’étranges idées sur ce qu’on allait trouver. Car la grande affaire, pour l’intelligence de cette petite fille, était de le deviner. Elle avait une amie de son âge, Simone Adam, avec qui elle s’entretenait souvent de ces graves sujets. Chacune apportait ses lumières, son expérience de douze ans, les conversations entendues et les lectures butinées en cachette. Dressées sur la pointe des pieds, et s’accrochant aux pierres, les deux fillettes s’évertuaient à voir par-dessus le vieux mur qui leur cachait l’avenir. Mais elles avaient beau faire, et prétendre qu’elles voyaient à travers les fissures ; elles ne voyaient rien du tout. Elles étaient un mélange de candeur, de polissonnerie poétique, et d’ironie parisienne. Elles disaient des choses énormes, sans s’en douter, et se faisaient des mondes de choses toutes simples. Jacqueline, qui furetait partout, sans que personne y trouvât à redire, fourrait son petit nez dans tous les livres de son père. Heureusement, elle était protégée contre les mauvaises rencontres par son innocence même et son ins-