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LA FIN DU VOYAGE

l’enfant seule, la plus grande partie du jour, au milieu de ses mille et une fantaisies satisfaites. Le temps ne lui manquait point pour songer ; et elle ne s’en faisait pas faute. Précoce et vite avertie par les propos imprudents, tenus en sa présence, — (car on ne se gênait guère), — quand elle avait six ans, elle racontait à ses poupées de petites histoires d’amour, dont les personnages étaient le mari, la femme et l’amant. Il va de soi qu’elle n’y entendait pas malice. Du jour où elle entrevit sous les mots l’ombre d’un sentiment, ce fut fini pour les poupées : elle garda ses histoires pour elle. Elle avait un fonds de sensualité innocente, qui résonnait dans le lointain comme des cloches invisibles, là-bas, là-bas, de l’autre côté de l’horizon. On ne savait point ce que c’était. Par moments, le vent en apportait des bouffées ; cela sortait on ne savait d’où, on en était enveloppé, on se sentait rougir, la respiration vous manquait, de peur et de plaisir. On n’y comprenait rien. Et puis, cela disparaissait, comme cela était venu. Rien ne s’entendait plus. À peine un bourdonnement, une résonnance imperceptible, diluée dans l’air bleu. On savait seulement que c’était là-bas, de l’autre côté de la montagne, et que là-bas il