Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 8.djvu/30

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

20
LA FIN DU VOYAGE

Grand Journal. Il en était qui prenaient la défense de Christophe contre lui ; ils montraient des mines navrées de l’inconscience d’Olivier, qui jetait un artiste délicat, rêveur, insuffisamment armé contre la vie, — Christophe, — dans le vacarme de la Foire sur la Place, où fatalement il se perdrait : car ils traitaient Christophe en petit garçon qui n’a pas la tête assez forte pour se promener seul. On ruinait, disaient-ils, l’avenir de cet homme, dont, à défaut de génie, la bonne volonté et le travail opiniâtres méritaient un meilleur sort, et qu’on grisait avec un encens de mauvaise qualité. C’était une grande pitié. Ne pouvait-on le laisser dans son ombre, travailler patiemment, pendant des années ?

Olivier aurait eu beau jeu à leur répondre :

— Pour travailler, il faut manger. Qui lui donnera du pain ?

Mais cela ne les eût pas interloqués. Ils eussent répondu, avec leur splendide sérénité :

— C’est un détail. Il faut souffrir. Et qu’importe, souffrir ?

Naturellement, c’étaient des gens du monde, parfaitement à leur aise, qui professaient ces théories stoïques. Comme disait ce millionnaire à un naïf, qui lui demandait son secours pour un artiste dans la misère :