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LA FIN DU VOYAGE

était l’amie, et qu’il la connaissait ; et les yeux attachés à ses yeux, appuyé contre le mur, il continuait de trembler. Elle souriait. Il ne voyait ni le dessin de son visage et de son corps, ni la nuance de ses yeux, ni si elle était grande ou petite, et comment habillée. Une seule chose il voyait : la divine bonté de son sourire compatissant.

Et ce sourire subitement évoqua en Christophe un souvenir disparu de sa petite enfance… Il avait six à sept ans, il était à l’école, il était malheureux, il venait d’être humilié et battu par des camarades plus âgés et plus forts, tous se moquaient de lui, et le maître l’avait injustement puni ; accroupi dans un coin, délaissé, tandis que les autres jouaient, il pleurait tout bas. Une petite fille mélancolique qui ne jouait pas avec les autres, — (il la revoyait en ce moment, lui qui n’y avait jamais pensé, depuis : elle était courte de taille, la tête grosse, les cheveux et les cils d’un blond tout à fait blanc, les yeux d’un bleu très pâle, les joues larges et blêmes, les lèvres grosses, la figure un peu bouffie, et de petites mains rouges), — elle était venue près de lui, elle s’était arrêtée, son pouce dans sa bouche, et l’avait regardé pleurer ; puis elle avait mis sa menotte sur la tête de Christophe,