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LA FIN DU VOYAGE

pas, ou qui avaient peur de l’Assistance publique ; elle s’efforçait de les guérir physiquement et moralement, de les garder avec leurs enfants, de réveiller chez elles le sentiment maternel, de leur refaire un foyer, une vie de travail honnête. Elle n’avait pas trop de toutes ses forces pour cette tâche sombre, pleine de déboires et d’amertumes, — (on en sauve si peu, si peu veulent être sauvées ! Et tous ces petits enfants qui meurent ! Ces innocents, condamnés en naissant !…) — Cette femme qui avait pris sur elle toute la douleur des autres, cette innocente qui expiait volontairement le crime de l’égoïsme humain, — comment croyez-vous qu’on la jugeât, Christophe ? La malveillance publique l’accusait de gagner de l’argent avec son œuvre, et même avec ses protégées. Elle dut quitter le quartier, partir, découragée… — Jamais vous n’imaginerez assez la cruauté de la lutte qu’ont à livrer les femmes indépendantes contre la société d’aujourd’hui, cette société conservatrice et sans cœur, qui se meurt, et qui dépense le peu qui lui reste d’énergie à empêcher les autres de vivre.

— Ma pauvre amie, ce n’est pas le lot seulement des femmes. Nous connaissons tous ces luttes. Je connais aussi le refuge.