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LA FIN DU VOYAGE

fois plus lourd que les pires misères ? » Pensez à cela, Christophe. Cela fait trembler.

— Ce que vous dites me bouleverse. Je ne comprends pas bien. Mais ce que j’entrevois… Alors vous-même…

— J’ai connu ces tourments.

— Est-ce possible ?… N’importe ! Vous ne me ferez pas croire que vous eussiez jamais agi comme cette femme.

— Je n’ai pas d’enfant, Christophe. Je ne sais pas ce que j’aurais fait, à sa place.

— Non, cela ne se peut pas, j’ai foi en vous, je vous respecte trop, je jure que cela ne se peut pas.

— Ne jurez pas ! J’ai été bien près de faire comme elle… J’ai de la peine, de détruire la bonne idée que vous avez de moi. Mais il faut que vous appreniez un peu à nous connaître, si vous ne voulez pas être injuste. — Oui, j’ai été à deux doigts d’une folie pareille. Et si je ne l’ai point faite, vous y êtes pour quelque chose. Il y a de cela deux ans. J’étais dans une période de tristesse qui me rongeait. Je me disais que je ne servais à rien, que personne ne tenait à moi, que personne n’avait besoin de moi, que mon mari même aurait pu se passer de moi, que c’était pour rien que j’avais vécu… J’étais sur le point de me sauver,