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LES AMIES

semblait un malentendu mélancolique. Il est impossible de le résoudre. On ne peut que l’aimer, avoir pitié, et rêver.

Et quand la ruche des rêves bourdonnait trop en elle, quand elle ne pouvait pas penser plus avant, elle allait à son piano, et laissait ses mains frôler les touches, au hasard, à voix basse, pour envelopper de la lumière apaisée des sons le mirage de la vie…

Mais la brave petite femme n’oubliait pas l’heure des devoirs journaliers ; et quand Arnaud rentrait, il trouvait la lampe allumée, le souper prêt, et la figure pâlotte et souriante de sa femme qui l’attendait. Et il ne se doutait point de l’univers, où elle avait vécu.


Le difficile avait été de maintenir ensemble, sans heurts, les deux vies : la vie quotidienne, et l’autre, la grande vie de l’esprit, aux horizons lointains. Ce ne fut pas toujours aisé. Heureusement, Arnaud vivait, lui aussi, une vie en partie imaginaire, dans les livres, les œuvres d’art, dont le feu éternel entretenait la flamme tremblante de son âme. Mais il était de plus en plus, dans ces dernières années, préoccupé par les petits tracas de sa profession, les injustices, les passe-droits, les ennuis avec ses collègues ou avec ses élèves ;