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LES AMIES

vies d’espoir, qui crient désespérément vers ce qui est leur droit, leur bien promis par la nature, et refusé, — qui se dévorent dans une angoisse passionnée, — et qui n’en montrent rien au dehors !

Mme  Arnaud, pour son bonheur, n’était pas occupée que d’elle-même. Sa vie ne remplissait qu’une part de ses rêveries. Elle vivait aussi la vie de ceux qu’elle connaissait, ou qu’elle avait connus, elle se mettait à leur place, elle pensait à Christophe, à son amie Cécile. Elle y pensait aujourd’hui. Les deux femmes s’étaient prises d’affection l’une pour l’autre. Chose curieuse, des deux c’était la robuste Cécile qui avait le plus besoin de s’appuyer sur la fragile Mme  Arnaud. Au fond, cette grande fille joyeuse et bien portante était moins forte qu’elle n’en avait l’air. Elle passait par une crise. Les cœurs les plus tranquilles ne sont pas à l’abri des surprises. Sans qu’elle l’eût remarqué, un sentiment très tendre s’était insinué en elle ; elle ne voulait point le reconnaître d’abord ; mais il avait grandi jusqu’à ce qu’elle fût forcée de le voir : — elle aimait Olivier. La douceur affectueuse des manières du jeune homme, le charme un peu féminin de sa personne, ce qu’il avait de faible et de livré, tout de suite l’avait attirée :