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LA FIN DU VOYAGE

perpétuel de sa santé, ses inquiétudes, qu’entretenaient les médecins, en cultivant son oisiveté qui en était la source, — (séparation de l’enfant, inaction forcée, isolement absolu, semaines de néant à rester étendue et se faire gaver dans son lit, comme une bête à l’engrais), — avaient achevé de concentrer ses préoccupations sur elle. Étranges cures modernes de la neurasthénie, qui substituent à une maladie du moi une autre maladie, l’hypertrophie du moi ! Que ne pratiquez-vous une saignée à leur égoïsme, ou, par quelque réactif moral énergique, que ne ramenez-vous leur sang, s’ils n’en ont pas de trop, de leur tête à leur cœur !

Jacqueline sortit de là, physiquement plus forte, engraissée, rajeunie, — moralement plus malade que jamais. Son isolement de quelques mois avait brisé les derniers liens de pensée qui la rattachaient à Olivier. Tant qu’elle était demeurée auprès de lui, elle subissait encore l’ascendant de cette nature idéaliste, qui, malgré ses faiblesses, restait constante dans sa foi ; elle se débattait en vain contre l’esclavage où la tenait un esprit plus ferme que le sien, contre ce regard qui la pénétrait, qui la forçait à se condamner parfois, quelque dépit qu’elle en eût. Mais dès