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LES AMIES

tion française, dont il avait souffert, et qui lui devenait chère, en ce moment qu’il la représentait dans son propre pays, — ce libre esprit latin, dont la première loi est l’intelligence : comprendre le plus possible de la vie et de la pensée, au risque de faire bon marché des règles morales. Il retrouvait chez ses hôtes, et surtout chez Minna, cet esprit orgueilleux, auquel il s’était heurté autrefois, mais dont il avait perdu le souvenir, — orgueilleux par faiblesse autant que par vertu, — cette honnêteté sans charité, fière de sa vertu, et méprisante des défaillances qu’elle ne pouvait pas connaître, le culte du comme-il-faut, le dédain scandalisé des supériorités « irrégulières ». Minna avait une assurance tranquille et sentencieuse d’avoir toujours raison. Aucune nuance dans sa façon de juger les autres. Au reste, elle ne se souciait pas de les comprendre, elle n’était occupée que d’elle-même. Son égoïsme se badigeonnait d’une vague teinture métaphysique. Il était constamment question de son « moi », du développement de son « moi ». Elle était peut-être une bonne femme, et capable d’aimer. Mais elle s’aimait trop. Surtout, elle se respectait trop. Elle avait l’air de dire perpétuellement le Pater et l’Ave devant son « moi ».