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LA FIN DU VOYAGE

jours. Et il ne se doute pas que le son de cette voix qui continue imperturbablement de se parler dans le désert, rend le silence plus terrible et le désert plus atroce pour celle qui est auprès de lui, et pour qui toute parole est morte que l’amour ne vivifie point. Il ne le remarque pas ; il n’a pas mis sur l’amour, comme la femme, sa vie entière comme enjeu : sa vie est ailleurs occupée… Qui occupera la vie de la femme et son désir immense, ces millions de forces ardentes et généreuses, qui depuis quarante siècles que dure l’humanité se brûlent inutiles, offertes en holocauste à deux seules idoles : l’amour éphémère, et la maternité, cette sublime duperie, qui est refusée à des milliers d’entre les femmes, et ne remplit jamais que quelques années de la vie des autres ?

Jacqueline se désespérait. Elle avait des secondes d’effroi, qui la transperçaient comme des épées. Elle pensait :

— « Pourquoi est-ce que je vis ? Pourquoi est-ce que je suis née ? »

Et son cœur se tordait d’angoisse.

— « Mon Dieu, je vais mourir ! Mon Dieu, je vais mourir ! »

Cette pensée la hantait, la poursuivait la nuit. Elle rêvait qu’elle disait :