Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 8.djvu/179

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

169
LES AMIES

symphonies, inspirées de la vie quotidienne. Il concevait entre autres une Symphonie Domestique, à sa façon, qui n’était pas tout à fait celle de Richard Strauss. Il ne se préoccupait point d’y matérialiser en un tableau cinématographique la vie de famille, en faisant usage d’un alphabet conventionnel, où des thèmes musicaux exprimaient, par la volonté de l’auteur, des personnages divers qu’on voyait ensuite évoluer ensemble, si l’on avait des oreilles et des yeux complaisants. Ce lui semblait un jeu docte et enfantin de grand contrepointiste. Il ne cherchait à décrire ni des personnages, ni des actions, mais à dire des émotions, qui fussent connues de chacun, et où chacun pût trouver un écho de son âme propre, peut-être un réconfort. Le premier morceau exprimait le grave et naïf bonheur d’un jeune couple amoureux, sa tendre sensualité, sa confiance dans l’avenir, sa joie et ses espoirs. Le second morceau était une élégie sur la mort d’un enfant. Christophe avait fui avec dégoût toute peinture de la mort, toute recherche réaliste dans l’expression de la douleur ; les figures individuelles disparaissaient ; il n’y avait qu’une grande misère, — la vôtre, la mienne, celle de tout homme, en face d’un malheur qui est