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LES AMIES

pour trompette. Le théâtre, comme la fresque, c’est l’art à sa place. Et par là, c’est l’art humain par excellence, l’art vivant.

Les pensées que Françoise exprimait ainsi s’accordaient avec celles de Christophe, qui tendait, à ce moment de sa carrière, vers un art collectif, en communion avec les autres hommes. L’expérience de Françoise lui faisait saisir la collaboration mystérieuse qui se tresse entre le public et l’acteur. Si réaliste que fût Françoise, et de peu d’illusions, elle percevait pourtant ce pouvoir de suggestion réciproque, ces ondes de sympathie qui relient l’acteur à la foule, ce grand silence des milliers d’âmes d’où s’élève la voix de l’interprète unique. Naturellement, elle n’avait ce sentiment que par lueurs intermittentes, rarissimes, ne se reproduisant presque jamais, pour une même pièce, aux mômes endroits. Le reste du temps, c’était le métier sans âme, le mécanisme intelligent et froid. Mais l’intéressant est l’exception, — l’éclair à la lueur duquel on entrevoit le gouffre, l’âme commune des millions d’êtres dont la force s’exprime en vous, pour une seconde d’éternité.

C’était cette âme commune, que devait exprimer le grand artiste. Son idéal devait être le vivant objectivisme, où l’aède s’assi-