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LA FIN DU VOYAGE

ce que veut mon esprit. Et tour à tour, il me faut sacrifier, humilier l’un ou l’autre. J’ai un cœur. J’ai un corps. Et ils crient, ils crient, ils veulent leur part de bonheur. Et je n’ai pas de frein pour les tenir, je ne crois à rien, je suis libre… Libre ? Esclave de mon cœur et de mon corps, qui veulent malgré moi, souvent, presque toujours. Ils m’emportent, et j’ai honte. Mais qu’y puis-je ?…

Elle se tut, un instant, remuant machinalement les cendres du feu avec la pincette.

— J’ai toujours lu, dit-elle, que les acteurs ne sentaient rien. Et, en vérité, ceux que je vois sont presque tous de grands enfants vaniteux, qui ne sont guère tourmentés que de petites questions d’amour-propre. Je ne sais pas si ce sont eux qui ne sont pas de vrais comédiens, ou si c’est moi. Je crois bien que c’est moi. En tout cas je paye pour les autres.

Elle s’arrêta de parler. Il était trois heures de la nuit. Elle se leva pour partir. Christophe lui dit d’attendre au matin, pour rentrer ; il lui proposa d’aller s’étendre sur son lit. Elle préféra rester dans le fauteuil auprès du feu éteint, continuant de causer tranquillement, dans le silence de la maison.

— Vous serez fatiguée demain.