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LES AMIES

épreuves semblables), — elle se jura de vaincre, de devenir libre, riche, et de fouler aux pieds tous ceux qui l’opprimaient. Elle s’était fait ce serment dans son taudis, un soir qu’elle entendait dans la chambre à côté les jurons de l’homme, les cris de la mère qu’il battait, et les pleurs de la sœur. Comme elle se sentait misérable ! Et pourtant, son serment l’avait soulagée. Elle serrait les dents, et pensait :

— Je vous écraserai tous.

Dans cette enfance sombre, un seul point lumineux :

Un jour, un des gamins avec qui elle polissonnait dans le ruisseau, le fils du concierge du théâtre, l’avait fait entrer, bien que ce fût défendu, à une répétition. Ils se glissèrent tout au fond de la salle, dans le noir. Elle fut saisie du mystère de la scène, resplendissante dans ces ténèbres, et des choses magnifiques et incompréhensibles qu’on disait, et de l’air de reine de l’actrice, — qui jouait en effet une reine dans un mélo romantique. Elle était glacée d’émotion ; et en même temps, son cœur battait très fort… « Voilà, voilà ce qu’il fallait être, un jour !… Oh ! si elle était ainsi !… » — Quand ce fut fini, elle voulut, à tout prix, voir la représentation du soir. Elle