Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 8.djvu/147

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

137
LES AMIES

aux plus récents faiseurs parisiens. Même elle se hasardait parfois dans les avenues à la Versailles de l’hexamètre classique, et sur le torrent d’images de Shakespeare. Mais elle y était moins à l’aise, et son public encore moins. Quoi qu’elle jouât, elle se jouait elle-même, elle seule, toujours. C’était sa faiblesse et sa force. Tant que l’attention publique ne s’était pas occupée de sa personne, son jeu n’avait eu aucun succès. Du jour où on s’intéressa à elle, tout ce qu’elle joua parut merveilleux. Et en vérité, elle valait bien la peine qu’on oubliât, en la voyant, les œuvres souvent si piètres, qu’elle trahissait en les embellissant de sa vie. L’énigme de ce corps de femme, que modelait une âme inconnue, était pour Christophe plus émouvante que les pièces qu’elle jouait.

Elle avait un beau profil net et assez tragique. Rien des lignes accentuées et lourdes, à la Romaine. Des lignes délicates au contraire, parisiennes, à la Jean Goujon, — autant d’un jeune garçon que d’une femme. Le nez court, mais bien fait. Une belle bouche aux lèvres minces, au pli un peu amer. Des joues intelligentes, d’une maigreur juvénile, où il y avait quelque chose de touchant, le reflet d’une souffrance intérieure. Le menton volon-