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LA FIN DU VOYAGE

lette qu’on frappait de nouveau à la porte, d’une façon convenue que savaient seuls quelques intimes. Christophe ouvrit, et se trouva en présence d’un troisième inconnu, qu’il se mettait en devoir d’expulser rondement, quand l’autre, en protestant, excipa de son titre d’auteur de l’article. Le moyen d’expulser qui vous traitait de génie ! Christophe, maussade, dut subir les effusions de son admirateur. Il s’étonnait de cette notoriété soudaine qui lui tombait des nues, et il se demandait s’il avait, sans s’en douter, la veille, fait jouer quelque chef-d’œuvre. Mais il n’eut pas le temps de s’informer. Le journaliste était venu pour l’enlever, de gré ou de force, et le conduire, séance tenante, aux bureaux du journal, où le directeur, le grand Arsène Gamache lui-même, voulait le voir : l’auto attendait, en bas. Christophe essaya de se défendre ; mais naïf et sensible, malgré lui, aux protestations d’amitié, il finit par se laisser faire.

Dix minutes plus tard, il était présenté au potentat, devant qui tout tremblait. Un robuste gaillard, d’une cinquantaine d’années, petit et râblé, une grosse tête ronde, aux cheveux gris taillés en brosse, la face rouge, la parole impérieuse, l’accent lourd et emphatique, avec des accès de volubilité caillouteuse. Il