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LES AMIES

sentimentaux ou sexuels, de leurs prétendus droits au bonheur, de leurs égoïsmes contradictoires, et discutant, discutant, discutant, jouant la comédie du grand amour, la comédie de la grande souffrance, et finissant par y croire, — souffrant… Qui leur dira :

— Vous n’êtes aucunement intéressants. Il est indécent de se plaindre, quand on a tant de moyens d’être heureux !

Qui leur arrachera leur fortune, leur santé, tous ces dons merveilleux, dont ils sont indignes ! Qui remettra sous le joug de la misère et de la peine véritables ces esclaves incapables d’être libres, et que leur liberté affole ! S’ils avaient à gagner durement leur pain, ils seraient contents de le manger. Et s’ils voyaient en face le visage terrible de la souffrance, ils n’oseraient plus en jouer la comédie révoltante…

Mais, au bout du compte, ils souffrent. Ils sont des malades. Comment ne pas les plaindre ? — La pauvre Jacqueline était bien innocente, aussi innocente de se détacher d’Olivier qu’Olivier l’était de ne pas la tenir attachée. Elle était ce que la nature l’avait faite. Elle ne savait pas que le mariage est un défi à la nature, et que, quand on a jeté le gant à la nature, il faut s’attendre à ce qu’elle le