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LA FIN DU VOYAGE

sion invincible ; elles étaient insupportables à ses nerfs. Pour tranquilliser sa conscience, elle avait fait deux ou trois fois quelque chose qui ressemblait à du bien : le résultat avait été médiocre.

— Voyez donc, disait-elle à Christophe. Quand on veut faire le bien, on fait le mal. Il vaut mieux s’abstenir. Je n’ai pas la vocation.

Christophe la regardait : et il pensait à une de ses amies de rencontre, une grisette égoïste, immorale, incapable d’affection vraie, mais qui, dès qu’elle voyait souffrir, se sentait des entrailles de mère pour l’indifférent de la veille ou pour un inconnu. Les soins les plus répugnants ne l’écartaient point : elle éprouvait même un singulier plaisir à ceux qui demandaient le plus d’abnégation. Elle ne s’en rendait pas compte : il semblait qu’elle y trouvât l’emploi de toute sa force d’idéal obscure, héréditaire, éternellement inexprimée ; son âme, atrophiée dans le reste de sa vie, respirait, en ces rares instants ; à adoucir un peu de souffrance, elle sentait un bien-être, un rire intérieur ; et sa joie alors était presque déplacée. — La bonté de cette femme, qui était égoïste, l’égoïsme de Jacqueline, qui pourtant était bonne : ni vice, ni